En 2016, ma mère et moi allions régulièrement nous promener sur le bord de mer, dans l'espoir que la douceur de la lumière et la contemplation méditative de l'horizon calment son angoisse.
Mais la mer était trop vaste pour qu'elle laisse son regard s'y noyer. Elle préférait observer les promeneurs et s'amuser d'éléments incongrus qu'elle nommait parfois à voix haute, sans doute pour se prouver à elle même qu'elle s'en souvenait un peu. Était-ce un effet de la maladie qui troublait ses souvenirs et emportait sa mémoire, tout devenait un repère auquel amarrer son attention, pour essayer de maitriser un espace et une une chronologie qui lui échappaient.
Et puis les promenades ont cessé.
En janvier 2018, après lui avoir rendu visite dans l'institution où elle venait d'être admise, je suis retourné seul sur la Promenade des Anglais, où les gens viennent regarder la mer, et où ma mère regardait les gens. Alors que je n'avais pris aucune photo lors de nos sorties, je me suis mis à photographier. Les passants, les touristes, les objets, et l'horizon. Je voyais à nouveau ce lieu à travers l'objectif, et en lui donnant un cadre, je retrouvais la sensation de maîtriser un peu la situation, en contrechamp du sentiment d'impuissance que provoque la confrontation à cette maladie. Conscient de la vertu résiliente de cet exercice, j'ai continué d'articuler chacune de mes visites mensuelles avec ces respirations photographiques et inconsciemment, mois après mois, ces images ont constitué un corpus d’instantanés chargés d'une mémoire diffuse, comme une lente fabrication de faux souvenirs.
Cette série a été exposée lors de la cinquième édition du Printemps des photographes à Sète en 2019.